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vendredi 18 mars 2016

UN BOND

Il ne faudrait écrire (et d’une certaine façon, c’est ce que les bons auteurs font, chacun à leur façon, chacun selon leur vision, depuis toujours) selon la conception du merveilleux chère à Michel Leiris : prélever dans la réalité, dans le continuum du réel qui s’impose à nous tous les jours, à chaque instant, et qui le plus souvent émet une sorte de déprimante couleur grisouille, toujours plus ou moins la même, la part ou le moment de vie exceptionnelle qui s’en dégage, la part ou le moment dans lesquels la réalité prend littéralement quelque chose de merveilleux… 

Ce matin, dans une rue de Paris, j’ai vu une femme qui portait une robe blanche que sa démarche pourtant assez lente faisait flotter légèrement autour d’elle comme si elle s’était transformée en une diaphane série d’ailes superposées et vibrionnantes. Au moment de s’engouffrer dans l’escalier d’une bouche de métro, cette créature a semblé se surélever pour atteindre directement la troisième ou quatrième marche, comme si elle avait produit d’un seul coup une sorte de bond au ralenti dans l’atmosphère…

lundi 14 mars 2016

LA VIE INTÉRIEURE (RIRES…)

Il faudrait raconter des tas de trucs, des trucs du monde réel, qui m’arrivent, me tombent dessus, qui nous arrivent, nous tombent dessus, « vas-y petit, montre leur que tu sais causer toi aussi, des commentaires, des palabres et encore des palabres et encore des commentaires, pas les sujets qui manquent, des tombereaux tous les jours, chaque seconde, un torrent ininterrompu, l’actualité, l’actualité, non que dis-je, l’actu, l’actu comme il faut dire maintenant, oh le ringard ! il dit les mots entièrement ! t’as pas compris, les gens n’ont pas le temps, faut tout raccourcir (vu qu’ils ont commencé par leur propre cerveau !), apocopes à tous les étages de la langue martyrisée, saucissonnée, sectionnée, que ça de vrai aujourd’hui, faut tout raccourcir je te dis, mettre tout ça aux normes à la peau-de-chagrin de la nouvelle "pensée", sécu, télé, dispo (quand est-ce que t’es dispo ma couille ?!), ado (les ados c’est plus ce que c’était ma bonne dame !), exams (putain j’crois que j’me suis planté à mes exams !), accro (foutre de merde, je suis accro à cette sale pute qui me pompe tout mon blé !), appli, ah celle-là c’est ma préférée, applis pour tout et n’importe quoi, la photo(graphie), la météo(rologie), la bouffe, les jeux, les déplacements, la banque (histoire de pouvoir sonder le vide de ses comptes !), les gonzesses livrées en trente minutes comme des pizzas, j’en passe et des bien pires, mais surtout pas d’application aux choses de la langue, c’est qu’il en faudrait de l’application pour bien causer le français, autre chose à foutre toute cette engeance, ça court, ça braille, ça baisouille, ça pullule en "communautés", ça lit en diagonale, des petites choses bien courtes et mal écrites, bien creuses, bien inutiles, qui "prennent pas la tête", ça c’est le plus important, notre tête est prise ailleurs, toujours ailleurs, dans le grand vide intersidéral du monde virtuel et même réel… », alors voilà, il dit « réel » mon petit bonhomme énervé, tout près de chez moi, peut-être en moi-même finalement, je crois que je fais plus trop la différence, quoi qu’il en soit, ça faisait un moment que je ne l’écoutais plus vraiment, mais ce mot de « réel » sort comme l’as de pic et me ramène d’un coup à ma pensée première, il faudrait que je raconte des tas de trucs sur le monde réel pensais-je donc, des trucs qui m’arrivent et qui seraient bien croquignolets à raconter, mais voilà, tout ça m’emmerde prodigieusement, trop plombé par ma « vie intérieure », ça prend toute la place, je vois plus grand-chose du monde réel, en dehors de moi, tout ce merdier, cet épouvantable foutoir éternellement recommencé, comme auto-régénéré on ne sait trop par quel machiavélique engrenage, toujours plus ou moins le même pourtant, alors voilà, il faudrait que j’en raconte des choses, des événements, c’est que j’ai une vie palpitante si vous saviez, mais je ne regarde qu’à l’intérieur, et je n’y trouve le plus souvent qu’un spectacle plus déplorable que tout ce qui existe à l’extérieur…

jeudi 3 mars 2016

FAUSSE COURSE

La course, toujours… Pourtant je déteste ça, courir… En vérité, d’ailleurs, je ne cours pas. C’est simplement une image, celle des sportifs de Coluche : le temps qu’ils passent à courir, ils le passent pas à se demander pourquoi ils courent… Chez moi, qui ne suis pas sportif pour un sou et encore moins pour un salaire astronomique, cela donnerait plutôt une inversion absurde de la vie : le temps que je passe à courir derrière la pitance (laquelle je n’arrive pas même à attraper), je ne le passe pas à me consacrer au seul vrai travail pour lequel je me crois fait…